You know she makes my life complete.
Jess.
Depuis que t'es partie, je compte, tout le temps. A l'envers.
Et maintenant ça commence à trente, c'est beaucoup ; beaucoup trop. Dès
fois on a de la chance et on arriver à voler quelques heures sur un
trajet Sainte Terre-Saintes tout court, à ces moments je ne suis qu'à
quinze. Dès fois je me suis trompée, et le temps de te voir arrive
avant la fin, on sourit rien qu'à cette pensée. J'ai peur, un jour,
d'arriver dans les négatifs et de m'enfoncer, m'enfoncer, sans jamais pouvoir
te retrouver. Mais normalement, j'arrive à zéro, et c'est le moment de
te voir. J'arrête mon horloge et, dans un espace-temps plus ou
moins long, je ne compte plus. Seulement ça finit toujours par recommencer.
On a chacune notre lycée maintenant, c'est beau de grandir. Je pourrais pleurer en écrivant mes
lettres, mes messages, en lisant tes articles, en regardant nos photos, en froissant des feuilles remplies de toi cachées dans une grande boîte blanche et violette, en te
disant au revoir sans savoir si on se reverra dans une semaine, un mois. Mais je suis une grande fille forte alors j'intériorise, je reste
dans la sobriété et je n'exprime surtout pas mes sentiments quand ils
sont un peu trop violents. Jamais. Je veux t'entendre tous les jours, le son de ta voix et de ton rire, te regarder sourire ou te renfrogner, regarder tes yeux briller et savoir quand tu t'es lissé les cheveux et si ça les a abîmés. Je veux qu'on se dise TOUT dès
que l'envie nous prend. Je veux te faire la bise le matin et te voir
énervée par un prof ou une fille de ta classe. Je veux qu'on se fasse
des orgies de goûter le mardi soir, je veux qu'on se batte à
nouveau avec des bâtons, je veux te regarder prendre le tram en
attendant mon bus, je veux te voir arriver de mauvaise humeur et l'air
fatigué (autant que moi) les lundis matins après de folles soirées. Je veux, je veux, je veux. Je voudrais pouvoir comprendre ce que tu veux que je comprenne par ce fameux regard.
Mais
un jour, on sera ensemble, toutes les deux, toutes les trois, toutes
les quatre, toutes les six, et on ne comptera plus jamais parce qu'on
passera notre vie ensemble. On n'attendra plus les rares occasions de se voir, on redoutera simplement quelques week-end, quelques semaines éparses, encore trop nombreuses, où on sera obligées de se quitter. Oh, on ne sera pas tout le temps collées, on aura sûrement des amoureux, des études, une vie à côté, mais bien sûr qu'on trouvera toujours un moment pour prendre un chocolat chaud ou une crêpe au nutella ou une des meilleures glaces de Bordeaux. Une fois par jour. Et alors on parlera de tout, puisque le temps ne sera plus important, on se racontera
les petits riens du quotidien. Tout, tout, tout.
"Ô temps ! suspends ton vol, et vous, heures
propices !
Suspendez votre cours :
Laissez-nous savourer les rapides délices
Des plus beaux de nos
jours !
"Assez de malheureux ici-bas vous implorent,
Coulez, coulez pour eux
;
Prenez avec leurs jours les soins qui les dévorent ;
Oubliez les heureux.
"Mais je demande en vain quelques moments encore,
Le temps m'échappe et
fuit ;
Je dis à cette nuit : Sois plus lente ; et l'aurore
Va dissiper la nuit.
Alphonse de Lamartine